"Dieu est mort, on a retrouvé son cadavre
dérivant en orbite autour de Cassiopée en 2019"
Philip K. Dick, Message de Frolix-8.





samedi 23 février 2008

6.

De la gentille drogue pour être heureux, et des crayons, des pinceaux, des stylos et du papier :
"Lorsque Wong Kar-wai m'a proposé d'être Faye dans Chungking Express7, nous ignorions tout de l'existence de B. — encore aujourd'hui, d'ailleurs — son crépuscule de la longueur d'un sabre sur une Hong Kong de rêve, d'avant la rétrocession, d'avant le blanc dans le roux, d'avant le masque de graisse, d'avant l'endurance à l'affliction, d'avant..."
Tout ce que le métal peut avoir d'effilé, combiné à tout ce qui vole, augmenté de tout ce qui parle, appliqué au défaut de la parabole, tout ce qui s'emmanche, se projette, associe sa masse à la gravité pour faire poids, participe des théomachies les plus crétines, tout ce qui germe et peut être fauché par tout ce que le métal peut avoir d'effilé, tout ce qui allaite et se lèche, tout ce qui est transparent et inscrit des images dans les rayons de lumière qui le traverse, tout ce qui explose au réveil, tout ce qui produit un son métallique, tout ce qui se feuillette et qui tranche et qui s'encule, et tout ce qui sert à écrire et dessiner, et autres psychotropes (danse des neurones) :
"Je m'appelle Fei Wong Chin Man, j'aime l'eau et les sandwiches, les chiens, toutes les couleurs, le volley-ball et la natation, suis née un 8 août à Beijing et je suis cool — avec les bras puissants de ma beauté, je peux étouffer dix mille hommes, et chacun d'entre dix mille se sentira pourtant dépositaire d'une infinie solitude..."
De planches et de terre, et de plastique, de verre, de papier, beaucoup de papier, et de lumières, blanches, jaunes et intermédiaires, de vibrations — combinatoires infinies — et de beaucoup de carrés et d'autant de rectangles s'est bâti le palais géométrique étançonné de nerfs et de tendons où petit à petit vient se réfugier dans les limbes du matérialisme dialectique un peuple larvaire — trace de cosmogonies approximatives, mythologies lacunaires, imaginaires collectifs édulcorés — aussi un palais d'encens et de battements d'éventail pour les images numériques de la Belle de Hong Kong, dans la cyanose de mon tube cathodique.
"L'axe de la terre basculé, la nouvelle Thulé dont je suis la reine horizontale aspire le tourbillon du ciel, ciel , ciel..."
De planches d'aggloméré plaqué et de terre modelée, plastique moulé, papier de verre, obscurités colossales à renvoyer fées dans leurs…
"Faye Wong = Fée et Reine = Reine des Fées = Fairy Queen = Titania..."
Défilement rapide en arrière, désordre, long temps passé, hésitation et volonté d'ancrage, tentatives, abandon à l'abandon ou à la velléité, plongeon dans l'incertain et l'enfin approximatif, comment dire…
Tel que je l'ai alors lu : "Le caractère wong qui en Chine désigne le roi est formé de trois traits horizontaux parallèles, le Ciel, l'Homme et la Terre, reliés en leur milieu par un trait vertical8" et je venais d'écrire : "L'axe de la terre basculé, la nouvelle Thulé dont je suis la reine horizontale…" et j'ai soudain compris : "Faye Wong = Fée et Reine = Reine des Fées = Fairy Queen = Titania..." avec bien entendu dans mes jeux grossiers de poétrisation Hong Kong comme Thulé et donc l'Est se substituant au Nord et Faye comme axe de mes fantasmagories à deux balles étendue de mes pieds à ma tête avec Shakespeare comme facile grand ordonnateur et un hasard bien venu pour que je puisse m'en émerveiller quelques jours et oublier puis aujourd'hui l'écrire tout vide et encore impuissant, mais c'est mieux ainsi — je ne veux pas croire.
Tout ce que métal peut avoir d'effilé m'entre dans le nez, les yeux, les oreilles, les tétons, s'y fiche ou non, cicatrise trop bien ou tourne au rejet, développe nécrose à divers stades avec jolies couleurs sans crayons, précipite fantasmes et tissu cicatriciel, pus et croûtes — ou grand rien toujours décevant, toujours déçu — puis tourne au bijou sans qu'on m'aime plus pour autant, dans le crime de gérer ma peau blanche, et osmotique.

Château de boîtes, plastique et carton, tresses de papiers parfumés, colonnes de fumée d'encens, petits tas de cendres comme des montagnes de Chine où agonisent les Immortels comme ni Mao ni moi sommes sûrs de vouloir y croire, comme il est question de cela et du contraire, et de celle-là aussi, mais qui s'évanouit quand je m'y cramponne trop tièdement, malgré ses plus ou moins mille sept cent entrées sur le Web :
"Jusqu'où puis-je soupçonner l'horreur et la contiguë fascination de Rose, ses mariages avec Jaune et Noir, et Gris, comment ils peuvent s'inscrire dans des carrés et des rectangles, je ne suis que Faye Wong et ma jeunesse m'affranchit des prétextes que l'on développe lorsque la descente s'amorce, n'est-ce pas, esclave..."
On me déteste pour cela, mais à quoi m'immoler qui soit plus délicieusement ridicule, à quoi pouvoir encore moins croire, quelle prison m'ériger qui soit moins transparente, comment me rogner l'esprit avec plus de réticence, comment m'affranchir moins d'une dépendance émotionnelle, qui être plus que moi-même — et puis quoi faire d'autre et mourir ?

Des yeux carrés, des bouches carrées, des oreilles et des narines, infiniment tristes où errent les ratés chimériques d'aucune tradition, juste issus d'un esprit velléitaire et communiqués à peu, palpitants faiblement sous le papier et le carton, sans noms à évoquer comme Céphalocoche-Grimace, sans os ni métal, infiniment d'ennui derrière cet avortement avorté, triste occident.

Les déesses d'Asie donc aux autels chromés ronds et carrés de verre, métal et plastique, éphémères comme l'électricité — dont on fait de si belles choses — et fugaces comme la trace d'un bistouri dans l'œil quand on a soin de ne pas s'enfoncer trop loin — Buñuel manquant de nuance, comme je l'expliquais au chirurgien — et touchant au ciel comme le Londres-Hong Kong de 11.20 pm — météore et satellite et ange-baleine avec un peu de gentille drogue pour affronter la nuit dans un monde sans fées ni Faye — fermées ces pages…
"Il ne sait pas ce que je chante, il ne sait pas ce que je pense, je ne pense rien de lui, il ne sait pas ce qui m'émeut et m'humidifie, il ne sait pas qui je regarde à droite, qui je regarde à gauche, il ne sait pas qui m'accompagne, il ne sait pas comment me joindre, il ne sait pas si je pleure, il ne sait pas me parler, j'emporte négligemment dans les bras puissants de ma beauté dix millions d'hommes à éparpiller dans l'espace, il ne veux pas croire..."
Musique : dans Minotaur9 de Marc Ribot, celui-ci joue simultanément de la guitare électrique et du cornet.


7. Chunking Express, Wong Kar-wai 1995.

8. Dictionnaire des symboles, Jean Chevalier, Alain Gheerbrant Editions Robert Laffont 1982.


9. in Sounds of a Distant Episode Fred Frith/Marc Ribot, Reinventing the Guitar Subsonic SR68 ©1994 Sub Rosa.


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