"Dieu est mort, on a retrouvé son cadavre
dérivant en orbite autour de Cassiopée en 2019"
Philip K. Dick, Message de Frolix-8.





samedi 23 février 2008

13.

Manteau de bave noire à étendre en aile noire sur les corps nus et bleuâtres aplatis dans les champs de batailles de la mémoire, qui s'abat en noire spirale, emprisonnant rythmes et notes qui se concentrent en une vibration noire — elle prend sous le linceul la forme d'un corps générique qui est aussi celui d'une amie proche, également présente et absente, mais avec puissance, avec constance, avec…

Clapping Music14 de Steve Reich pour danser.

Une autre nuit à Amsterdam, six mois plus tard, elle est là encore, qui n'existait que dans quelques lignes vite tapées un dimanche, elle est différente mais c'est bien sa façon de danser, toujours d'avant en arrière, de haut en bas, de droite à gauche, de dehors en dedans (naine blanche s'écroulant sur elle-même jusqu'à devenir un trou noir), mais cette nuit-là la terre bombardée de basses brutales est devenue élastique et repousse chacun de ses pas, entravant ses manœuvres d'ancrage d'un sautillement — moi je bondis pendant trois heures parce que je ne sais plus comment m'arrêter…

Stabat Mater Dolorosa comme Soundz of the Asian Underground15.

Sidérostat pour Faye loin en temps et espace et esprit et ralentir jusqu'à me gélifier et me figer et me solidifier dans un rebond suspendu au-dessus du détroit de Kowloon en Bucrane ou Céphalocoche-Grimace car ne le suis-je pas plus qu'un autre dans cette habitude ridicule de me maintenir en vie juste assez pour continuer à sombrer — même pas dans la folie — dans ce quotidien…

Il faudra que je lui demande sa chanson, et si elle a un titre.

Il en est une autre qui se meut avec des allures de saurien lunaire, qui offre un sourire qui mord, une structure génétique déviante, des antécédents psychiatriques amusants, plein de bras et entre chacun un cœur sincère, des serpents le long de la colonne vertébrale, un passé — mon génie lui donne des souplesses de reptile supposant des rotations contre nature si quelque catalepsie la fait s'enrouler et glisser sous la table…

Photek nous avait fait danser cette nuit.

La première a rejoint mon panthéon où se substituent petit à petit à des attachements ridiculement vrais et sincères l'objectivité du hasard, de la futilité et de l'arbitraire ; il ne fallait pas partir, ma recherche m'a fait rencontrer de nouvelles lames assez bien aiguisées pour me féconder encore, à commencer par les yeux par chirurgie…

So Tell The Girls That I Am Back In Town16.

La troisième glisse entre les feuilles mortes artificielles dans la lumière dure — son modèle est ancien, compact, au trait inexorable, ses effets troublants et rassurants pourtant comme un collier de dents ou un narcotique, elle entre dans ma bouche et se love dans le panier de mes hanches et je suis seul et habité, je rampe et j'éjacule…

Il ne me reste pas grand chose de Ravel.

La deuxième… Non, la troisième décidément me concerne particulièrement — elle a des réponses, et de ce qui reste d'elle sur mes doigts, m'en semblent enfin bons à lécher ; m'a enfin fait mal avec ses dents, très coupantes, m'a enfin fait mal avec ses griffes, m'a enfin fait mal avec un mouvement de son bassin, m'a enfin fait mal avec son regard, m'a enfin fait mal avec son rire, m'a enfin fait mal avec son absence, enfin, m'a fait doucement…

Hariprasad Chaurasia m'a soufflé dedans.

Comme la troisième campe sur les décombres de ma mémoire amorphe, la seconde regarde vers le bas à gauche avec alanguissement, le grain le plus fin du papier le plus uni portant ses photographies pâles pourrait recouvrir les clavicules de l'autre comme je les ai modelées et polies et léchées, sur lesquelles j'aurais pu pleurer — avant de tatouer sur les miennes des signes de machines célibataires, qui…

Je connais ses chansons, c'est du chinois !

La première aussi, mais pas la troisième, cette flamme au-dessus de la zone industrielle d'Anvers comme… ou alors cette usine à fabriquer les nuages entre Liège et Aachen comme… ou ma maison… — la seconde a sa propre maison dans un zodiaque aseptisé pour que ne la puisse toucher, mais j'espère pour elle qu'elle y baise comme je baise ici sans penser à elle, c'est à moi d'espérer pour elle, c'est à moi d'espérer pour elle, à moi d'espérer pour elle, pour elle, d'espérer…

Toutes les mièvreries chantées/ânonnées/braillées des dessins animés de Walt Disney™.

Toutes trois se sont liées en moi pour que m'ayant mis en morceaux je ne me désagrège jamais, que les surfaces à vifs de mes lambeaux restent à se frotter l'une contre l'autre et qu'en en hurlant je hurle leurs noms : 1 ! 2 ! 3 ! en une valse funèbre, 1 ! 2 ! 3 ! 1 ! 2 ! 3 ! 1 ! 2 ! 3 ! etc…

1 ! 2 ! 3 !

Nuée de shurikens, brume du Soudan, nuage métallisé, émulsion sonore, scie atmosphérique, halo vénéneux, horizon hagard, dent de béton contre l'espace, crissement rectangulaire, nouveau paysage : j'explose dans les bras du serpent occidental de…

Si, il me reste au moins la Valse…

Pourtant… Faye, aide-moi ! Faye, viens à mon secours ! Faye, regarde, elle s'approche comme un napalm harmonique, elle est passée et me laisse en momie calcinée affalée contre un coin de vibrations et toi Faye, toi Faye comme tu existe en moi, toi Faye l'attache au Levant de mes fuites immobiles, qu'existes-tu encore sous mes brûlures ? On en reparle plus tard…

[Di-Dar]17

Et tu, petite fille paradigmatique d'Amsterdam dans ta danse continue, avale mon adieu et regarde avec moi comme elle s'approche encore, océan de lait et de soma aux clous de sel, dont tu es la mouette noire et blanche sur ciel noir et blanc (ma main rentre dans ma tête aisément par la tempe droite)…

Squarepusher (référence citée plus loin).

Tous les horizons se condensent et se nouent dans un corps blanc et dompté, qui accepte étrangement mes caresses, me suce et fait gentiment de petits trous dans mon être par où je m'échappe enfin : ma forme volatile touche un jour de quelques atomes ténus le smog osmotique de Hong Kong, Faye Wong me respire en une aumône de qui me disperse pour me remodeler de sa langue bifide, en modèle vrai et mythique de Maggie Cheung dans le Green Snake de Tsui Hark…

N'importe quoi de Bela Bartok ou de John Zorn.

Donc il n'y a plus un, deux ou trois, il n'y a plus rien qu'une immense douleur léchée, apaisée et renouvelée de ne pas l'être continuellement, une mise en nerf, une félicité, une scie pour l'âme, et une bonne question, un bon test, une sourire narquois : hé, Faye, comment vas-tu réagir à ça — vas-tu t'évanouir dans ton propre néant ou celui-ci te rend-il invulnérable ? C'est le moment d'y réfléchir sérieusement…
Heaven, I'm in heaven,
And my heart beat so that I can hardly speak
And I seem to find the happiness I seek
When we're out together dancing cheek to cheek18
Mais des accents de Requiem…

Car je ne devrais pas écrire de cela, rien n'est hasard, Céphalocoche-Grimace rôde entre les plans de la réalité comme entre les pages de ce livre, ses dents grincent et meulent et dentent, Sémaphore-Acrobasse épie de son regard d'os et son os résonne de tous nos propres os, et son crâne résonne de nos propres crânes, je le connais, rien de cela ne le laisse indifférent, et dans l'orbite vide de Cibachrome-Débarasse, ce qui se reflète de notre réalité n'est pas joli-joli…


14. Early Works : Come Out/ Piano Phase/ Clapping Music/ It's Gonna Rain Steve Reich, Elektra Nonsuch 1987.

15. Anokha - Soundz of the Asian Underground, Quango (Island) 1997.

16. in Whiskey Jay-Jay Johanson, 74321455652 © 1996 BMG Sweden AB.

17. Di-Dar Wong Faye.

18. Cheek To Cheek Irving Berlin 1935.


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