"Dieu est mort, on a retrouvé son cadavre
dérivant en orbite autour de Cassiopée en 2019"
Philip K. Dick, Message de Frolix-8.





samedi 23 février 2008

10.

Première tangence d'un soleil sur l'horizon : envoi de métal dans un plan de vue avec salutation aurorale et morbide de Faye Wong à travers le ciel vert — vert à venir, vert inéluctable -— voici venu le temps des psychostasies.

Sur un sol jonché de papier machine (A4) et de couteaux aux manches retaillés en godemichés anaux, me déroule lentement, très lentement, très très lentement, avec lenteur, avec intense lenteur, avec infinie lenteur, ma forme n'est pas tout à fait achevée, le rectangle ectoplasme me plaît bien, mais je projette grande puissance d'enflures de latex animal au relief marqué avec orifices osmotiques — les haches seront rangées à l'intérieur, bien du plaisir et de la douleur en perspective, plutôt celle d'Uccello d'ailleurs, structurée de piques et de hallebardes : genèse sous le signe de l'arme blanche, et du braquemart, bordel de dieu (peut-il en être autrement) !

Déjà suce tout ce qui peut être sucé, déjà me sens vide et à remplir, déjà pas assez de doigts (trop de trous, pas assez de doigts, aurais-je commis une erreur ? Ah voilà qui est plus orthodoxe — mais j'ai encore envie qu'on m'encule, ça commence bien), déjà trop pleine de cris menstruels à expulser à coups de bite, cris qui ne seront pas inoffensifs, déjà hyper sollicitée par tout ce gaz (N, O2, CO2, +…) au contact de mon enveloppe externe, forme doigts et langues moléculaires qui font leur office, oh, déjà…

Bon, où sont les âmes ?

Oups, une petite cabriole, nuque et genoux au sol, dis bonjour au ciel avec mes lèvres du bas maintenant en haut, qu'est-ce que j'm'amuse !

Oh, je suis très belle, c'est cool !

Quel est tout ce bois plat de planches d'arbres, quels sont tous ces conglomérats de cellulose, qu'est-ce qui éclate et tranche avec toutes les nuances du bleu au gris, sans compter les reflets, quelle est cette répartition homogène du noir sur le blanc, quelle est cette noire odeur de bête horizontale si bien mêlée à l'Art de la Fugue, et tout cet os et toute cette poussière qui vibrent au-dessus de la cheminée, sont-ils de l'âme — quoi que cela puisse être — et cette omniprésence du rectangle, que cache-t-elle, que révèle-t-elle, et ces quatre cylindres de bois vernis, comment se raccordent-ils à cet univers saturé de mort avortée ?

Ciel vert : attirée, atterrie.

Comme j'ai rampé je me redresse, lentement, très lentement, très très lentement, avec lenteur, avec immense lenteur, avec infinie lenteur, ma forme est de toutes les nuances de l'orange au gris, sans compter les reflets, creuse et gonflée d'air chaud, quitte tout contact si ce n'est celui de l'éther qui m'habille, un lambeau de bonheur hante cet univers de bois :
"Lorsque le rasoir conjure l'abominable fourrure abdominale, après avoir visité l'intérieur des lèvres, effleuré le clitoris, arrive la fragile félicité d'agenouiller, d'incliner, d'écarter les fesses et de défaire l'anus du duvet qui s'y accroche, de le réconforter d'un coup de langue, le corps déchiré par la souffrance voluptueuse d'une violente érection qui accompagne l'opération…"
Modifications qui s'imposent ; puis brusquement tout est aquatique, profond, lisse, doux, blanc nuancé, tiède mais avec brûlure, enfle et deviens cube ectoplasme avec larmes à dissoudre poussière, imprime dans ma chair rectangles et os autres, mon vide intérieur est si grand que me retourne comme un gant et fais du vide universel mon vide propre pour le remplir de l'univers dont chaque particule énergétique en translation trouve sa place et sa fonction pour stimuler le trop-plein de mon trop-vide : putain, quel pied !

Que d'amour, que d'amour !

Éjaculée dans le ciel vert par-delà terres et mers comme chaîne d'yeux de Faye Wong pour faire constat d'allégeance de cet obscur point de puissance près de la frontière belge, toute chair, accoste ce microcosme de poussière, d'os, de bois, de papier et de pensées lacunaires — d'un horizon à l'autre : langues, tentacules, chaînes, filets de bave, rubans de peau, éclair d'amour et de pouvoir, et donc ?

La chanson d'un mort :
"Putain, quelle superbe érection ! Dire qu'il n'y a personne ici pour en profiter !"
Soudainement écartelée sur vert rectangle avec soubresauts — raga avec gat en rupaktal : danse — avec sentiment diffus d'immense intersection de rien et de tout, de pétrification béate, d'envolée au bout de chaînes, longue et lente trajectoire crépusculaire et toujours poids de tout l'air de cette planète sur toute mon enveloppe externe comme serrée dans un poing.

Sur fond de nuit et de ruines : vibration soit infiniment lente, soit infiniment rapide, dessine aussi noir et de grande lamentation aussi du rouge séché en noir le grand pal — il est là ; attablé près de moi un gentil nécromant boit du jus d'orange et sourit doucement, il me parle de Sei Shônagon — holà, que se passe-t-il, ceci n'est pas la réalité que j'avais programmée, j'avais de plus gros seins aux tétons percés, des grandes bottes de cuir et pas de culotte, du sang à répandre et une mission et sûrement pas à minauder dans cette garden party : zaaag, sshiaa, klaaak, zaang, kabaang, tue kill hop tout est rentré dans l'ordre, j'avais une mission !

Interférence pensées faciles petite humectation petit trémoussement neutralisation gentillesse petite naïveté complaisance sourire — dents ciselées par l'art cruel et délicat et immanquablement morbide de Céphalocoche-Grimace un jour d'égarement esthétisme élégance trajectoire pli de peau de sens enveloppe gonflée d'une surface de peau lisse et inexpressive géométrie facile rythme séduisant timbre émotion facile facile.

Celle plane d'une planche de bois tachée d'encres, celle convexe d'une bonbonne de gaz de métal indéterminé, celle polymorphe d'une couverture de laine peluchée : surfaces de jeu et de non-jeu, surfaces de souffrances trouées/trouables ornées de ces trous si beaux lorsqu'il s'agit des ailes du nez, de la frange des oreilles, des tétons, de tout autre appendice qui appelle le métal du bijou, artifice plus que beauté, crime d'ornement puisqu'ornement est un crime et que la loi nous fait horreur.
"Lorsqu'un corps conducteur transmute sa chaleur intense du milieu en flexibilité des extensions, j'aime que cette suave mollesse se résolve brusquement en cuir dur et froid et lisse et noir et mordant — qui abrase ma joue quand on pose ses pieds sur mes épaules, meurtrit la chair de mes ventre et bas ventre — j'aime que ma langue remonte du talon dur d'une botte jusqu'à mordre au brûlant génital…"
J'en déduits quelque nouvelle danse — raga avec gat en tintal lent et moyen : danse — qui demande des nageoires qu'ad abruptum je suscite, nageoires d'otarie, nageoires de serpent de mer, nageoires de narval, nageoires de sirène, nageoires de salamandre, nageoires d'exocet, nageoires de murène, nageoires de requin, nageoires de calmar, nageoires de sous-marin, nageoires de missile mer/mer, nageoires de dragon, nageoires de Léviathan, nageoires de crocodile, nageoires de nâga, nageoires de Jette-à-l'Eau-Grosse-Calebasse, ce qui me confirme quelque terrible mission de lier l'homme à sa mort, lier la mort à l'aimer, lier et juger à l'aune de mourir et aimer, et s'ennuyer.

Que l'on réduise un arbre à quelques planches privées d'essence, sinon celle du rectangle, quelques feuilles de papier privées d'essence, sinon celle du rectangle, quelques bâtons, quelques allumettes, un bûcher pour le mort qui rêve encore et qu'il faut disperser dans les quatre directions, les quatre éléments, les quatre coins du rectangle, le sortir du trou par petites pelletées, les souffler doucement vers la balance moléculaire, gratter ce qui adhère, en respirer par inadvertance, trouver ça bon, recommencer, le sniffer petit à petit, trouver ça toujours bon et en rendre un jugement positif, en manquer définitivement, chercher des succédanés, se mettre à tuer pour en avoir encore.

Les quatre gardiens de poussières qui furent ses enfants forment un panthéon sur une planche et restent cois, immobiles, toujours inertes comme d'esprit humain — enfin ce qu'il faut ou ne faut pas d'esprit pour passer sa vie derrière le guichet d'une banque — hérissés de membres surnuméraires, tentacules, griffes, crochets, serres, rostres, crocs, épines, cornes, mains, bras, seins, bites, langues, qui brusquement m'inspirent et voilà qu'il m'en pointe !

Mon corps cylindrique s'arme et libérée ma voix se fait mélodieuse et me voilà chantante d'un chant qui s'harmonise avec la chanson d'un mort : raga avec alap, jor et gat en tintal moyen et rapide : danse — pourquoi pas, mes nouvelles excroissances s'inventent des mudra qui rayent les murs et barattent l'éther chargé de cendres et de poussière arraché à la chambre de mon épiphanie par l'élégante rage d'une danse doublée de quête, ou quête doublée de danse, avec chant en résonance qui fouille les sédiments de mémoire occulte…
"Lorsque vêtu d'une chemise de soie noire me soumets au jet de la douche et que la soie chaude lourde molle et plastique me suce de son embrassade mécanique d'ectoplasme, il faut que mes couilles se nichent dans l'écrin d'une bouche, qu'une langue Pygmalion remodèle ma queue — cela requiert du nombre, et c'est ainsi que le veux…"
Quoi ?

On lui a dit que sa vue ravivait une foi quand lui ne voulait croire en rien — on lui a fait des serments qu'il a cru à contre-cœur — on lui a fait miroiter des avenirs qui s'avéraient toujours être le présent — on l'a quand même sucé un peu — on s'est habitué à lui sans qu'il puisse en faire autant — on a vieilli en l'embarquant dans la manœuvre — on est un con.

Du moins si j'avais la faiblesse de suivre les dégoulinades de l'esprit suintant de ces murs, j'aurais pu racler de telles âneries, mais une neige visqueuse transpire des lattes du plancher et m'englue les tentacules — de découvrir que je pourrais être immobilisée m'en inspire le goût et je chie une soie dont je m'entortille par kilomètres et les murs, les escaliers, les toits, le pâté de maisons : dans cette gangue de séricine, fibroïne et débris d'architecture je me liquéfie, me décompose et recompose en un phalène cosmique qui d'un coup d'aile ascendant occulte le soleil — c'est donc la nuit — puis explose dans l'espace en maculant la moitié du globe de mes humeurs élémentaires.
"Tout ce que je puis tolérer d'une toison pubienne, c'est son contact contre mes fesses lorsque l'on m'empoigne par derrière, alors que des rubans arachnéens m'aveuglent et me ligotent, gorgeant mon corps d'une puissance immense destructrice jouissive dont je jouis de ne pas l'actualiser…"
La chanson d'un mort :
"Mon esprit démocratique s'accomplit dans la pratique sodomite, par communion androgyne…"
Etc…

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