"Dieu est mort, on a retrouvé son cadavre
dérivant en orbite autour de Cassiopée en 2019"
Philip K. Dick, Message de Frolix-8.





jeudi 27 décembre 2007

19

Chanson de filles :
Et quand tu m'auras bien léchée
Enlève tes doigts
Et encule-moi
Maman, pourquoi les mecs n'ont-ils qu'une bite ?
Il faut choisir, la la lala
Pourquoi choisir, la la lala ?

Car j'ai bien deux trous à fourrer
Et même les doigts
N'y suffisent pas
Maman, pourquoi débandent-ils si vite ?
Il faut finir, la la lala
Pourquoi finir, la la lala ?

Les mecs sont bien mieux comme pédés
Ils manquent d'organes
Ils tombent en panne
Maman, pourquoi faut-il donc qu'ils m'excitent ?
pour en souffrir, la la lala
Pourquoi souffrir, la la lala ?
On se souviendra de Lum May Yee, assise sur sa caisse de jus de goyave, sur un dock de Singapour, jambes écartées face au détroit de Karimata, aspirant de sa vulve chatte sous sa courte jupe, des spires de brumes tropicales, recomposées dans son réacteur interne en chaînes se dévidant de sous les racines de ses ongles en nouvelles circonvolutions — des marins malais viennent les ramasser et les revendent en en taisant la provenance.

Une scintigraphie révèle dans la région du pubis un foyer de fission nucléaire tapissé de peluche rose, centre d'orbites de mots lointains transportés du méridien 0 par osmose, conséquemment au vide créé par ces recompositions atomiques.

Madame, elle crie !

Elle plie surtout — ce qu'elle recèle de cire — par nouveaux détours et retour de foudre, surtout, don't worry, ça l'interdit, cette barbe de larmes, pendant que — Lolicom — elle joue : le singe en sailor, la folle de Hong Kong, Singapour ou Amsterdam, qu'est-ce que j'ai fait ?

Rectangles de bois, six pour faire une caisse, un siège sur un dock ; Mei — elle peut s'appeler Mei, donc —, le coude gauche sur la cuisse gauche, le menton entre pouce et index grand ouverts déformant joues et lèvres en une moue un peu cocasse, un peu sombre, les autres doigts serrés dans la paume, les yeux sans cesse en mouvements saccadés, à apprécier vaguement toutes sortes de valeurs de gris.

Gris ciel, gris mer, gris route, gris carton, gris plastique, gris charogne, gris vieillesse, gris homme, gris métal, gris sonore, blanc sale, gris cathodique, gris sourd, gris migraine, gris Bruxelles, gris Japon, gris HK, IGB, gris trip-hop, gris rideau, gris amour, gris vie, gris peau, gris œil, gris hache.

Gris de labyrinthe gluant de vagues dans les bassins du port — une huile de sang gris en alourdit la naissance et la mort, cette huile coule maintenant des oreilles de Mei, poisse le fameux T-shirt Tank Girl qui comme une pieuvre grise lui agrippe les seins, lui suce les tétons, une flaque s'étale autour d'elle — les marins malais toujours aux aguets courent chercher des bidons, d'autres allument des poignées de bâtonnets d'encens.

L'AMBRE GRIS DE LA BALEINE MEI EST EN VENTE CONDITIONNE EN MINUSCULES BOITES DE PLASTIQUE VERT FLUO — SOUVERAIN POUR L'INVOCATION DE TOUT DEMON FEMELLE, GRAISSER LES LAMES DE HACHES ET REVIVIFIER AINSI LEUR POUVOIR FECONDANT, CAPTURER LES REPTILES, FAVORISER LA TRANSE DU SAMEDI SOIR.

Les chaînes, l'huile et l'encens consacrés à Mei — l'eau salée dont sa cosmogonie a pu faire l'essence de toute matière et le principe de tout… je ne sais plus quoi ; les trois piliers fondamentaux des formes, des matières et des couleurs, la théomachie avec Faye, l'apologie du pouvoir génésique du minéral sur l'humain sous forme de bijoux, armes, pierres, eau, etc, le bestiaire fantastique à base de reptiles et de crânes de porcelet si j'ai tout compris, la danse sous toutes ses formes, les mantras de Faye Wong, Hanayo25 et les Doopees26

Chansons de fées :
La la lala
La la lala
Officiante en exosquelette de plastique noir sobrement nacré (quelques reflets dans la lumière appropriée) et fibre de carbone, avec mâchoire prolongée, pinces et griffes thoraciques articulées, vertèbres éjectables, projections de feu et d'images animées, incrustations de métaux ouvragés, tatouages holographiques, de la dentelle noire un peu partout, bref, le grand jeu — elle est belle, hip hip hip !

ON RECRUTE DANS LA ZONE PACIFIQUE : VESTALES, BACCHANTES, PYTHIES…

Touche-moi, touche-moi, là (un os).

Chanson :
À quatre pattes on peut m'aimer
Puisque les chiens
Y arrivent bien
Maman, pourquoi n'aurais-je pas ce que je mérite ?
Il faut gémir, la la lala
Pourquoi gémir, la la lala ?
Pas une chanson de matelots, pas une chanson de marche, pas une chanson d'ivrognes, pas la chanson du meunier de Dee, pas la chanson d'un roi, pas une chanson de guerre, pas une chanson de carabins, pas une chanson de maçons, pas une chanson de supporters, pas un air d'opérette, pas une chanson de bonzes, pas une chanson de ménestrel — pas un sourire.

Purcell ou Monteverdi — la dentelle de leurs manches tachées d'encre — peuvent en avoir écrit la musique ; qui d'autre27 ?

DANS CETTE LITURGIE OU CHANTENT LES PIERRES ET LES LAMES — DEDANS…

Des seins : des poches de peau grise fermées au devant par des patelles vieux rose, empaquetées comme des chapeaux birmans, des champignons poussant sur d'autres champignons, des poignées de portes de placard28, des gifles molles pour avoir bavé, de l'air à gonfler les tissus de l'industrie humaine.

Faye Polymastos.

De l'eau : chemin de ciel répandu comme huile d'air sec, gris et salé, et de tout cela et tout cela, crachat total, et de tout cela et tout cela, et la mer de Truc face au port de Singapour avec les bateaux dessus et les marins sur les bateaux, les poulpes dedans à huit bites, le minéral sous sa forme caressante, forme pénétrante : l'ectoplasme dans la matrice de Faye.

Faye Anadyomène.

Du volume : comme les livres, comme les éponges de sang au revers des icônes qui font pleurer les vierges orthodoxes, comme les tatouages gonflés de seins, comme avoir écrit une danse dans un espace donné en lettres de gestes, comme évoquer un démon d'un grimoire, comme confondre la carte et le territoire, comme entrevu au ras des miroirs.

Faye Trismégiste.

Des awards : du show-biz, de la pub, de la télé, du cinoche, du glitter, du glamour, du porno, de la politique, de la religion, du pouvoir, de l'amour, de l'or, de l'art, de l'âme, de l'être, du rêve, du fantasme, du dedans, du secret, du profond, de l'intime, du mouillé, du gémi, du branlé, du sucé, du léché, du baisé, du craché, du joui, du crié, du glorieux, de l'obscène, du performatif, du XXIème siècle29

Faye Nike.

De l'espace : rien entre la palpitation douce d'elle-en-tant-qu'elle et tout, tout ce qui la touche, tout ce qui la peut aimer, rien qui la fait toute, brûlante de pouvoir et de sang, baignant dans l'espace, tout l'espace, l'espace ramené à l'espace, et tout l'espace proche de s'agglutiner — et le duvet de sa peau, et la toison de son pubis (selon son humeur et son bon vouloir, elle est glabre ou velue comme on peut l'aimer), et sa chevelure sont anodes et cathodes de l'amour qu'on lui voue alors.

Faye Digambara.

Shei2 shuo1 ai4 shang4 yi1 ge du4 hui2 jia1 de ren2
Wei2 yi1 jie2 ju2 jiu4 shi4 wu2 zhi3 jing4 de deng3
Shi4 bu4 shi4 bu4 guan3 ai4 shan4 she2 mo ren2
Ye3 yao4 tian1 chang2 di4 jiu3 qiu3 yi1 ge an1 wen3
— oh-woh — nan2 dao4 zhe4 mei2 you3 bie2 de ju4 ben3
Guai4 bu4 de ren2 dong4 bu4 jiu4 shuo1 dao4 yong3 heng2 30

Faye en son entéléchie.

FAYE EN SON ENTELECHIE, T'ENTENDS ÇA ?



25. Makaa na Shizuku Hanayo

26. Doopee Time Doopees , ©1995 For Life Records FLCF-3594

27. Peut-être David Bowie !

28. On dit que l’on hésite à les ouvrir sous prétexte qu'elle pourrait être vide…

29. Dont c'est…

30. Qui dit que quand on aime quelqu’un, on doit aimer son âme, sinon cela ne semble pas sincère ?
Serait-ce que peut importe qui l’on aime, on doit toujours demander de la sécurité ?
— oh-woh — J’aimerais vraiment être si naïve.
Impossible : n’y a-t-il vraiment pas d’autre possibilité ?
Comment cela est-il possible ? (op. cit.)


20

Diaphonie entre les hommes !

Peut-être fallait-il que cela se termine à Londres, car cela se termine, composition de serpents ailés — infinité de tunnels — et de corbeaux dans l'aube anthracite de Victoria Park — la météorologie de nos corps — courir, ou des avions…

Diaphonie entre les hommes et les reptiles !

Peut-être fallait-il que cela se termine à Barcelone, car cela se termine, dans le jardin des cactus31 de Costa i Llobera au-dessus du port où parade l'inévitable croiseur de guerre américain, encore des rampants et des volants, encore plumes et écailles et peau jamais assez nue, intérieurs de cuirs, caresses de caoutchouc, rêves de cailloux, incantations de pierre — vaines, nocives, hagardes…

Diaphonie entre les hommes et les lézards!

Peut-être fallait-il que cela se termine à Amsterdam, car cela se termine, avec eau, avec noir, avec reflets, avec rectangles, avec moustiques et vermine, avec l'ectoplasme presque dissout dans le temps et la littérature de cette petite chinoise percée qui m'avait tant aimé — hier, cette nuit, dansé comme elle à reculons en entrant dans la terre, ici, à Lille en paix, chez mes amis, ici, pas à Amsterdam, pas dans mes ailleurs…

Diaphonie entre les hommes et leurs danses !

Peut-être fallait-il que cela se termine à Bruxelles, car cela se termine, ou commence, ou commence autre chose — gris Broodthaers, gris Apple™, gris limace, gris justice, gris d'œil, gris lamie, gris rhinocéros, gris jazz, gris rideau, gris flamme, gris belge, gris peau, gris sexe, gris orgasme, gris pas-bouger, gris rester-là, gris catatonie, gris fou, à Bruxelles, capitale de la Belgique : "Kijk, het licht…"

Diaphonie entre les hommes et le gris !

Peut-être fallait-il que cela se termine à Berlin, car cela se termine — cela n'est jamais terminé car la fin se fond dans le néant, la fin n'est pas incluse et le tore ou ouroboros de cul anéchoïque en mâchoire disjointe, ou rien, ou science molle de machine d'architecture Von Neuman, ou derviche émotif à la garde des anguipèdes de Berlin, ou le Reich véritablement millénaire de l'impardonnable sous sa forme virtuelle à l'ombre huileuse, ou avoir été bouddha une nuit à Berlin, dans les rues la nuit, les parcs et les ponts la nuit, le S-bahn et les monuments, toujours sous la garde des anguipèdes, puis sous ma forme virtuelle d'ombre, cela se termine loin de Berlin, là, aujourd'hui par exemple, dans l'ombre grandissante…

Diaphonie entre les hommes et le noir.

Peut-être fallait-il que cela se termine à Lille en Flandres en guerre contre néant, sous ciel renversé en arrière comme dans une autre capitale, mais c'est déjà terminé, ou si cela devait se terminer ici à Lille, sous couvercle de Van Ruysdael : donc pas dans mes Asies de fuites, pas dans mes enfants loin, pas dans mes échafaudages de bambous, pas dans l'esclavage du rêve…

Diaphonie entre les hommes et les plans !

Peut-être fallait-il que cela se termine à Tokyo, car cela se termine, dans le grondement d'orage lointain du koto et le répons d'orient marin du shakuhashi, avec deux kilos de cire à fondre, à la flamme ou dans un cul, cire ou chair pénétrée s de lumière — dans la même lumière et le même recueillement et l'écriture récoltée dans la coupe de mains jointes et langue qui y trempe et s'y brûle enfin…

Diaphonie entre les hommes et leurs bites !

Peut-être fallait-il que cela se termine à Singapour, car cela se termine, dans les larmes des yeux de Lum May Yee qui n'avait rien demandé, qui dans ses grands échanges de matières s'est rechargée des cristaux de béton de la jetée et fixée en statue d'elle-même, assise sur sa caisse de béton de jus de béton, dos à la ville et jambes écartées : les dockers viennent y décharger en murmurant remerciements, car là elle est restée souple et chaude ; les femmes viennent y mettre le doigt pour recouvrer la fertilité — on la recharge parfois avec le manche d'une hache.

Diaphonie entre les hommes et Faye !

Peut-être fallait-il que cela se termine sur Frolix-8, car cela se termine (voir citation en exergue).

Diaphonie entre les hommes et l'encre !

Peut-être fallait-il que cela se termine à Hong Kong, car cela se termine.

Diaphonie entre les hommes et la mort !

Pas question en tout cas de mourir juste là — on l’envisage, c’est tout ; il y a une balade sous les nuages, dans l’aube, sur la pierre du parc, il y a une spirale de gris, d’avions, de corbeaux, d’arbres noirs, il y a les seins de brique grise de Londres couchée — il y a les seins en onde de celle-là couchée, léchée, rampée, dansée —, il y a une pierre de couche au sommet de chaque.

Diaphonie entre les hommes et les villes !

Peut-être la prochaine, peut-être jamais (est-ce danser pour écrire, est-ce écrire pour danser ?), peut-être faudra-t-il éviter les villes (les capitales), laisser ce geste qui par la fenêtre du train tranche les villes des autres cicatriser l'espace et donner naissance ainsi à la vermine merveilleuse qui gratte la nuit, la meute des spores de l'esprit faible, la Grande Maman des enfants pas sages (le Grand Papa si l'on a encore moins de chance), et tous ses enfants de buée.

Diaphonie entre les hommes et les fables !

(Ainsi le livre Des Monstres et Prodiges d'Ambroise Paré évoque sur le même plan les monstres mythiques, les animaux exotiques et les pathologies tératogènes : il y est décrit de nombreux cas de sécrétions de pierres trouvées dans le corps humain — on ne parle pas de ces pierres gravides que je cherche, ni de rhinocéros, ni de blessures parthénogénétiques.)

Diaphonie entre les hommes et les pierres !

Pas question en tout cas de ne pas fourrer sa queue partout où c'est possible, partout où l'on m'aime, même infimement, même sans le savoir, même en en doutant, même convaincu du contraire — on s'enivre, c'est tout.

Diaphonie entre les hommes et l'eau rampante !

D'un peu dehors à regarder peut-être voleter quelque hachette32 : infime fragment de trajectoire — dans, hors, dedans, dehors, fermé, ouvert — tranchant comme le verre brisé d'insectes morts ou les mots perdus ou suspendus puis tombés jamais oubliés en épines dans le gras de la plante du pied perçant son trajet obscur dans le corps pendant des années pour ressortir donc entre les deux yeux…

Diaphonie entre les hommes et les haches !

Pourquoi un climax, pourquoi la puissance, pourquoi ne pas laisser mourir puisque c'est prévu, désiré, pourquoi tenter de tomber du plus haut possible, pourquoi imaginer une fin, un but, une conclusion puisque c'est si visiblement faux, inaccompli, pourquoi faire semblant d'autre chose puisque c'est pour du semblant, pourquoi y croire quand on ne veut pas croire et que c'est plus crédible ainsi, etc… ?

Diaphonie entre les hommes et leurs os morts !

Quand il s’agit d’ouvrir des bras — je veux dire, sans lame, dans une gamme de tons chair — il faut que c’en soit un — je veux dire que c’en soit un — pourquoi ?

Diaphonie entre les hommes et les rectangles !

S’il s’agit d’embrasser ou d’avoir des nuances : on est moins apte à se laisser pousser des appendices quand on est tout entier dans un seul — alors on pleure et ce pleur même ne sort pas ; puis on espère que ce soit vrai.

Diaphonie !

Il y a tant d’accents qui nuancent mon nom — suis fatigué, je suis fatiguée, seul, seule, très malade33 — mes propres nuances ne sont jamais suffisantes pour équilibrer cela, c’est une nouvelle fuite à mon être face.

Diaphonie entre les hommes et le cafard !

S'il fallait un nouveau héros, un mâle, un serpent, un guitariste, une brute, un bâtisseur, un principe, un acteur, un fondateur, un DJ, un totem, un ténor, un gesticulant (et s'il y avait un problème d'orthophonie et qu'on avait confondu amour et anoure et ce n'est pas la même chose à mettre dans un slip !) : un grand dragon, un mâle, un cornu, un solitaire — juste accompagné de deux corbeaux —, une gueule grande ouverte dans un champ de bites, chinois ou asgardien, d’or ou de bronze, tendu ou contourné, réduit à une ligne tracée sur le sol ou fond de l’océan, dispensateur de pluie toujours ou presque…

Diaphonie entre les hommes !



31. Des cactus il va être question très bientôt, parce qu’il n'y a plus guère de temps, d'espace, de mots pour cela — c'est voulu.

32. Hachette (embranchement : Arthropodes ; classe : Insectes ; ordre : Lépidoptères ; famille : Saturniidés ; nom scientifique : Aglia tau).

33. Vieilleicht, Eine Frau für die Liebe La Pat, CD7936682 ©1989 EMI Bovema

21

Ah, Faye, Faye, que fais-tu maintenant que je m'illusionne dans mon univers de plans, que la télévision… est la télévision, que le cinéma… est le cinéma, que la littérature… est la littérature, que la musique… est la musique, que la danse… est la douleur et l'illusion de mon esprit face à mon corps, que les images… sont les images, que les formes… sont les formes, que le sexe… est le sexe, que la perversion… est la perversion, que la douleur et l'illusion… sont les servants de ma ferveur.
Une grande fresque épique retraçant les péripéties de caractères exceptionnels confrontés à des situations extrêmes mettant en jeu les fondements mêmes de la morale et de l'identité telles que l'ont peut s'y reconnaître en ce siècle commençant !
Alors quoi, je fais quoi — mon roman est ennuyeux, ma fiction n'est de personne — je ne vois du serpent que ventre gris et flou qui rampe sur la Flandre — par le hublot du TGV — me traîne et lèche le rail et le gravier, m'imprime dans le spongieux (moins dans le vaporeux) — je gratte encore — des grappes de seins roses décalqués des couvertures des magazines — les Relais H — pas de correspondances — pas de ventres — peu de soucis matériels (plus/pas encore) — une existence, sans Faye ?
Le désir, le sexe, la perversion évoqués comme jamais, avec la vivacité de l'esprit libre se refusant à toute forme de censure sans pour autant tomber dans la provocation gratuite, l'exhibitionnisme malsain ou la complaisance : on en sort revigoré !
Et si je demandais… il faudrait demander… je ne sais plus demander… je me souviens avoir beaucoup demandé… je me souviens n'avoir pas demandé… que pourrais-je demander ?
Des figures quasi-mythologiques révélant les archétypes enfouis sous deux millénaires de civilisation judéo-chrétienne, et dont l'évocation puissante éveille en nous des désirs oubliés de communion avec les forces élémentaires de l'amour, la terre, la vie, le cosmos, le verbe !
Tout cela bien sûr très ordinaire (mais a-t-il été question du contraire ?) — comme des photos de vacances, de fêtes de famille — des paysages, des amis, des animaux familiers, un peu d'érotisme volé au quotidien, quelques bizarreries (enclenchements involontaires, anecdotes, journalisme amateur), quelques effets maladroits…
Une œuvre visionnaire où s'affrontent les puissances du bien et du mal dans leur lutte éternelle ranimée à son paroxysme par un engagement profond s'encrant dans les domaines ultimes de la pensée et de la vie elle-même !
Quelques derniers échos, quelques enclenchements avortés, quelques inachèvements juste concomitants, quelques pages feuilletées de rien, par personne, quelques squames abandonnées comportant le code génétique même qui les a fait tomber, quelques mythes tronqués, ultime ressac d'une cosmogonie périmée, petits riens, rien…
Cette dissection à la précision chirurgicale et sans fausse pudeur de ce qu'il peut y avoir d'absolu dans l'individu réaffirme le rôle majeur de l'artiste tenant la gageure de l'universalité pour tenter, et réussir, l'Œuvre Totale !
Ainsi : à poil devant ma glace, le rasoir à la main — ni le désir fait chair, ni la mort incarnée : c'est le matin, j'ai pris ma douche et vais raser une barbe d'un mois, rousse et blanche, retrouver toujours le caoutchouc égal de mon visage — Faye pourrait-elle me trouver beau ?
Inscrit radicalement dans la modernité tout en renouant avec le souffle prophétique des épopées antiques, préparant le terrain à ce pourrait être la littérature du IIIième millénaire après avoir fait le deuil de tous les charlatanismes du siècle passé !
Ainsi : là sur de vieux cactus putrides et pelés de Costa i Llobera, aux épines tombées puisque inutiles — plus rien à protéger, pas même les bourgeons au vert violent rené dans les crevasses — je les ai vus les graffitis bourgeonnants, cicatrices fertiles du verbe (quelques photos de C. + I. = AMOR).
Tout à la fois pamphlet violent contre tous les conformismes et hymne aux valeurs fondamentales de l'individu et de la société, rejetant dos-à-dos tous les grands discours pour affirmer une philosophie personnelle s'alimentant sans complexe ni fausse modestie — mais toujours avec simplicité — à l'expérience humaine dans son ensemble !
Ainsi : je les ai vus je crois ces tétons comme cailloux (dents, ongles, griffes) sur un flan, fourrure passée dans un anneau pour une danse, des couleurs d'yeux, de peau, de reflets de lumières, d'effets spéciaux, de bijoux, de métal, j'ai vu ces danses de cascades, ces chants de cascades, ces caresses d'eau courante charriant des galets, les galets regardant implorant avant de fuir dans l'abîme…
Un chant d'amour bouleversant !
Ainsi : LUI. — Tu es comme mille femmes ensembles… démultipliée(s) — mille Faye séparées, nouvelle tous les jours, mais certains jours ne me réveillent pas — certaines Faye manquent, elles manquent à la réalité, à l'univers, à l'humanité à cause de cela, manque, manque, manque, etc…
Une langue riche et directe, une érudition à propos, un sens aigu de l'époque et de l'humain lui permettent de s'adresser à tous ceux qui sont en quête sans vouloir pour autant se renier, de susciter chez le lecteur ce sentiment rare d'être regardé plutôt que spectateur : une joie et une initiation !
Ainsi : Faye comme clown sensuel ou s'imaginant penchée, s'écartant les fesses de ses doigts aux ongles peints de dix couleurs différentes34 — bleu ciel, blanc nacré, jaune, rouge signal, vert pomme, rose, mauve, orange vif, noir —, ou comme un enfant que je ne sais pas avoir (au moins n'aurais-je pas eu d'enfant au XXième siècle), ou dans l'avion qui la ramène à Hong Kong après quelques concerts retentissants en Malaisie et Indonésie…
Surprenante clé aux interrogations refoulées sur la situation de l'homme dans un univers irrémédiablement accéléré, cette évidence révélée — impossible à formuler jusqu'alors, trop intime, trop proche, trop impudique, trop simple — est comme une libération, ô combien magistrale !
Ainsi : cherche des pierres pour lapider une fille de Faye et engendrer mes enfants — morts depuis, leurs os blanchis ont resservit depuis —, trouve sous une statue tombée — un sphinx peut-être — un nid d'anthropologues ; ont collecté pour moi anguipèdes, lamies, serpents, rhinocéros, dragons, menhirs, armes blanches (haches, casse-tête, lames diverses), sept cent soixante dix-sept liens pour la cybernation des Fayenatics enroulés autour d'un linga, quelques CD de canto pop et d'easy listening japonais…
Charnière inespérée entre des mondes et des cultures que l'on voulait croire inconciliables, refonte des aspirations de toute une civilisation à créer en son sein les conditions de la prochaine étape, voilà en tout cas — saurons-nous jamais à quel point — qui donne un sens qui manquait à l'avenir !
Ainsi : brûlure, je brûle ce que j'aime — ce qui m'aime me brûle — sûrement fallacieux, l'antagonisme dans mon panthéon privé entre Gene Kelly et William S. Burroughs, et les effets de leurs morts — sûrement cancer de ne pas penser, cancer de ne pas y penser — l'un d'eux dit : You never existed at all.
Dans la lignée des plus grands , le monde ne sera plus jamais comme avant, il y aura eu un avant, et il y a désormais un après, que les pessimistes et les désenchantés se rassurent, la relève des plus grands est assurée !
Ainsi : mes mains comme de l'eau froide, mes mains comme de l'eau sale sur les héroïnes possibles de cette histoire, la perte irrémédiable des héroïnes manquées de cette histoire, la grimace de Faye quand elle lira ces lignes, l'indifférence de l'inexistence du peu et encore trop que j'en ai inventé, la dernière liste de matériel : formes, couleurs, matériaux, inscriptions — dont celles-ci…
En une septantaine de pages, et parfaitement inutile, l'essence de la bêtise et de la forfanterie, le culte de l'anecdotique au lyrisme fin de siècle ahanant, le syncrétisme naïf du faux lettré, la préciosité faite système de ces mémoires hors de propos d'un égaré — bref, l'extravagance vaine de prétendre écrire aujourd'hui.
Ainsi : Bob Kane, mon papa…

Ainsi : de l'espace — qui est ta vêture et ta demeure, Faye Digambara, se concentre dans quelques plans assemblés de verre et de résine — toi, tu chantes, cinéma, télévision, vidéo, karaoké, internet…

Elle, elle chante :
Viens, va, petite chose, abandonne
Retourne, détourne, ton ventre, ta vacuité
Ton crâne, tes dents, quelqu'un a pu les aimer
Un espace
Surprise : personne — surprise : silence !

I am a lumberjack and I'm OK,
I sleep all night and I work all day!35

Joli monstre de pine de collage
Remue dans mon ventre de chatte
Remue dans ta danse inconnue inachevée — ad libitum
Un espace
Montre-toi : personne — montre-toi : silence !

Je suis un bûcheron, je suis OK,
Je dors la nuit et j'bosse la journée…

Penche la tête à gauche, à droite, en avant, regarde
Aujourd'hui n'as pas de tête
Aujourd'hui n'as pas de corps
Un espace
Je suis Faye : personne — je suis Faye : silence !

Etc…
Ainsi : assis dans l'escalier gris à coté de L.M.Y. fossilisée dans le mur gris auquel m'adosse, jette des morceaux de plâtre gris et de peinture grise en bas — en rythme, toc, toc, toc, toc, ou irrégulier, toc, toc-toc, toc ; des flûtes, des cordes et des cymbales peuvent s'y joindre et les ombres danser.

Entre la tempe et l'orbite, le bourrelet d'os qui n'est ni pommette, ni arcade sourcilière — le doigt y glisse distraitement, la paume accueille le menton, os, peau et barbe ; en tirant la peau de là vers l'extérieur, l'œil se bride, puis s'aveugle.



34. On se souvient — elle l'a affirmé — qu'elle aime toutes les couleurs ; c'est important.

35. Je m’en souviens d’un épisode du Monty Python Flying Circus

22

Je viens de tout relire, et je crois que n'ai pas dit ce que je voulais dire.

L'approche déceptive de l'écriture qui s'est imposée à moi est en fait assez effrayante ; j'ai été assez effrayé les deux années — fragmentaires, le double de ce que j'avais prévu — qui ont été nécessaires à la fabrication de cet objet de presque trente mille mots — parfois exalté, parfois lassé…

Il aura fallu au lecteur m'accorder une grande confiance pour ne pas balancer avant de l'avoir achevé cette composition burlesque au nom d'une quelconque dignité de l'écriture ; je ne saurai jamais si ce qui précède aurait pu me plaire sous la plume d'un autre : je l'ai envisagé parce qu'il me manquait de le lire — ou il me manquait de lire quelque chose, mais était-ce cela ?

L'état de dépression correspondant à l'écriture — entre l'aphasie et l'action (danser, jouir, marcher, monter sur scène…) — ne m'est pas celui de la lucidité : puis à qui faire confiance pour juger ce que ne saurais pas juger moi-même ?

J'ai programmé dès le commencement ce moment de poser enfin la dernière carte, cela s'arrête là — mon écriture et ta lecture — le procès en est fait, c'est un pari à tenir : à d'autres de reprendre ce chemin, plus aisément que moi je crois !

Je n'écris pas la séquence finale, je laisse à son actrice principale le soin de la vivre et à tous les autres celui de l'imaginer : peut-être par quelque processus indéterminé un jour Fei Wong (王菲) Chin Man — pop star chinoise, chanteuse, actrice, idole, mère, amante, image… — lira ceci.