"Dieu est mort, on a retrouvé son cadavre
dérivant en orbite autour de Cassiopée en 2019"
Philip K. Dick, Message de Frolix-8.





vendredi 22 février 2008

15.

Cercles d'argent des morts dans la danse, morts de la danse, morts bleus cercles d'argents yeux joues d'argent, danse d'argent, de ventres vêtus de monnaie, cercles d'argent de danse vénale, vénérables, vénériennes, vénitiennes ou dans lumières d'argent, lumes, lunes, météores : invagination du temps.
Aujourd’hui suis figure de pierre avec esprit de lame, figure de proue avec esprit de lame, figure de proie avec esprit de lame, figure de poudre avec esprit de lame — ronde-bosse de basalte rouge : s’y ancre un axe de pierre polie au grain d’une douceur infinie, dispensateur constant de volupté à qui s’y fiche et s’y active…
Et bien, il n'y à pas tant à dire à propos de ce truc, et de toute façon, quel singe je suis de croire aux fées et à l'esthétique contemporaine, quel serpent je suis de considérer la chute de l'Éden comme un chef d'œuvre de la danse, quel caillou je suis d'envisager la voix de Faye Wong comme un fait phénoménologique, quel homme je suis de croire aux carrés rouges et écritures blanches, cercles noirs, rectangles de bois, boites transparentes et quelles que soient les formes de mes enfants de poussières que mes yeux peuvent percevoir comme quotidienne et ordinaire malédiction…
Des frictions de viandes intérieures ma structure submoléculaire se renforce et s’est renforcée, et tant on m’a aimé qu’à la consommation des temps, dans l’indifférenciation entropique et eschatologique, comme dernier nœud de matière et d’énergie persistera cette tige de compacité et densité matérielles et morales infinitésimales.
Je me déroule dans drap de langue — lit de sang — l'encule, nous roule seins -— gâteaux vivants, nœuds de serpents, sucre d'acier, fesses métronomes, aigle moderne, ventre digital, mouvement trajectoire danse ferme — méchant/méchante.
Je suis un piège à Faye Wong, j’attends qu’elle passe à ma portée : je chante avec une voix très grave.
Scie de dents : rire d'acier, tendon de limaille tressée, viande d'ange : je chante avec une voix très grave.
Avant, j'étais homme avec gangrène, cancer, des amputations aussi.
Mes Adidas (mes Nike, mes Reebok) mangent de la verticalité, vomissent de l'oblique, glissent hors champ, limitent les limites : je chante avec une voix très grave.
Avant, j'ai été mort et j'ai porté mon cadavre à l'intérieur d e mon propre corps.
Comme je ne comprends pas le cantonais, ses mots en nuages d'encens entrent dans mes cerveaux par mes narines constellées, un autre paradis en boite en face de mes narines armées d'acier, je suis un consommateur ordinaire, si faible pour l'orientalisme, j'ai juste rencontré Lum May Yee et j'attends le combat…
Avant, j'ai vécu des absences découpées à la tronçonneuse.
Trop facilement étrange pour certains, ne me faites pas plus stupide que je ne suis, je sais tout de sa vacuité, ce qui n'est pas si simple, d'ailleurs : je sais que j'ai tort, mais j'ai décidé d'avoir tort, comme une forme de martyre, douce désespérance, douce bossa nova sur un mur de briques noires et humides, n'importe quand, réveillé.
Avant, j'ai chanté avec une voix très grave mais sans plus de conviction, parce que la musique s'y prêtait, parce que la danse s'en trouvait enrichie, ce n'était pas ma danse mais je n'en étais pas appauvri, il s'en serait fallu de peu pour que je me l'approprie, pour que j'invente un truc à faire de la lune pleine ce mois-ci.
Une infinité moins un gestes ont animé mes plaies, de la pompe simple du soleil à tel ou tel stade de son orbite autour de tel ou tel ventre, à la vomissure que cela amène à l'esprit de l'homme — ici en l'occurrence, ç'aurait put être le danseur enfin seul de milieu de nuit : plus rien d'en haut ne peut me tirer par les cheveux, mes mèches mortes sont dans une boite en carton, dans une boite en bois, dans une boite en brique, dans une boite en boites, dans une boite en air, dans en boite en vide.
Avant, j'ai été enterré vivant.
Une infinité moins un vers ont dans la somme des directions de leurs trajectoires déterminé mon immobilité, à chacun est associé un musicien — joueurs de gong (bo, luo, dril-bu, rol-mo, thanh la…), de tambour (ko-tsuzumi, taiko, narimono, da gu, ban gu, shi gu, pook, changgo, rna, sbug-chol, damaru, dai cô, trông cai, trông dê, trông com, mo…), de flûte (shakuhachi, di zi, p'iri, sao, tiêu…), de cordes (shamisen, biwa, san hsien, koto, yang qin, er hu, pi pa, haegeum, kuhmoongo, kayageum, dàn nguyet, dàn tam, yang gin, santour, dàn bâu, dàn dôc huyên, dàn tam thâp luc…), la cacophonie a gagné toute danse, il ne reste de possible que le silence.
Il est une lamie qui s'est toquée de ma minéralité et cherche à me détourner de Faye (qui n'existe pas), mais si les lamies existent, Faye aussi.
Le souffle à basse impédance de mon machin — pas de discours — du rythme — des moteurs — des transes — des haches qui dansent — des rotations à quarante-cinq degrés vers un autre mur — de l'amour — des explosions de papier — blanc, rouge et noir — pas de discours — des tambours — de la sueur — de l'animal, de l'ancestral, du moderne — tout de suite — ramper, lécher, sucer, avaler !
Les astrophysiciens voient le vide spatial comme le lieu le plus propice à la création des molécules complexes — oxygène et carbone soumis à des radiations cosmiques dures — qui sont à l'origine de la vie : statufiez l'espace et me voilà !
Donc c'est un arbre, ses branches sont à moi pour que je danse, je l'abats si je veux, je l'enguirlande si je veux, je le brûle si je veux, je l'adore si je veux, il m'embrasse si je suis terre ou ciel, il m'expose si je m'abandonne, il y a toujours une danse, un chant, une libation à en faire, il y a toujours une place en mon corps pour y ranger ses bois, car…
De retour à l'entendement, je chante d'une voix grave.
Car je m'aime d'un manche de hache, je m'aime d'un manche de serpe, je m'aime d'un manche de cognée, je m'aime d'un manche de tomahawk, je m'aime d'un manche d'herminette, je m'aime d'un manche de merlin, je m'aime d'un manche de doloire, je m'aime d'un manche de francisque, je m'aime d'un manche de hachereau, c'est dire si je m'aime !
Avant j'ai été fécondé (et je féconderai) d'un coup de sabre, de hache, d'épée, de couteau, bourgeonnement, cicatrisation génésique, et rien d'étonnant à cela, l'eau essentielle est minérale, comme l'alcool, comme l'air, comme la musique.
Une griffe, un tesson, une dent, une lame, une aiguille, un éclat, une écaille, un ongle, un ergot, un éperon, une esquille, un croc, une pointe, une épine, une punaise, un clou, une pique, un crochet, un dard, un bec, un poinçon, un pointeau, une aspérité, une saillie, un trait, un aiguillon, une écharde, une ronce, un allène, un carreau, une éclisse.
Lier une pierre sur une main avec un serpent, et je féconderai.

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