"Dieu est mort, on a retrouvé son cadavre
dérivant en orbite autour de Cassiopée en 2019"
Philip K. Dick, Message de Frolix-8.





samedi 23 février 2008

12.

Dansais au Tribal — c'était dimanche, ou plutôt lundi — une petite Chinoise, pas la même, pas percée, du moins pas visiblement, pas sur le visage, le crâne rasé, ne dansait pas mais souriait merveilleusement — aujourd'hui j'affecte de savoir que je la reverrai.

Il n'est pas question de plastique ici, ou plutôt si, mais autrement, d'un gris moins profond, que la patine et la lumière électrique rabattent sur le verdâtre, sans que ce soit nauséeux, par adjonction notamment de plexiglas fumé — absence totale de lyrisme, enfin, respiration, accélération, suffocation, psychédélisme rythmique, bruitisme, parasitisme sonore, coins carrés, ligne sobre et élégante, essentiellement fonctionnelle, mais pas incompatible avec la volute d'encens.

Dansais sur le pavé (de la rue) comme minérale enveloppe et électronique telle, bombardé d'ondes lentes et gestes oranges, avec mes mains plates et comme inéluctable le sourire rond d'une petite Chinoise rasée, sourire un peu tordu aussi, trop jeune s'il est possible d'être trop jeune — peut-on dire d'une basse qu'elle est trop basse ?

De papier et d'isorel, liseré blanc sur noir et/ou noir sur blanc avec attache de métal terni et tranche brune — éclats de rouge débordant, trous de pointes de métal, inclinaison à quinze degrés avec deux points d'appuis (bois reconstitué avec plaquage imitation), double son de métal plein avec réverbération en triolet sur rythmique binaire complexe, glissandos de basses agissant sur le sternum, gris cendre d'encens froid.

Engendrais de cette rencontre : pas de morsures aujourd'hui, ou demain, juste pénétrer doucement d'un sexe de chair un sexe de chair — pas d'écailles, pas de métal, pas de lave, pas de mots, pas d'images, pas de danse, pas de lutte, pas d'amour, juste pénétrer doucement d'un sexe de chair un sexe de chair, comme si c'était possible.

Complexe dispositif de métal encrassé de peinture blanche avec ouvertures noircies, points d'attache condamnés mais tenaces sur rectangles de bois assemblés en un plus grand rectangle, lui-même partie mobile d'un autre rectangle projeté sur différentes plans compris dans d'autres dimensions de rectangles de couleurs et de matériaux divers, sifflets modulés sur trame de rencontre sonore entre percussions de bois et filtres électroacoustiques, grincements intermédiaires et par-là même œuvrant à la cohérence du tout, comme s'immisce la fumée d'encens.

Elle peut gémir ; si elle chante un peu, je peux danser un peu — il me faudrait être détaché, ivre d'une drogue que je ne connais pas encore, qui me manque et que je cherche, ce qui fait que je dois en essayer toujours — mais je suis prêt à partager, c'est même presque nécessaire (presque bleu… son crâne).

Angles droits par convention, surfaces planes par habitude, horizontales et verticales par fonctionnalité, échelle des matériaux du pérenne au précaire, structures et supports de plus en plus évanescents du minéral jusqu'à la pensée, du hardware au software, avec épanchements de désordre et d'illogismes esthétiques et/ou désinvoltes — rythmes brusquement déviés — dont une bouffée d'encens.

Explose en mille petites sœurs dans l'humus de l'exil en quête de cosmopolitisme pour s'affranchir : 1. d'être quelque part 2. d'être nulle part — course de la Reine Rouge sur rythmes de rotatives emballées à la mesure de mes doigts dans un ventre mille fois ralentis par le frottement de mes envies absorbées, à la mesure de mes doigts sur un clavier infiniment lents à m'extraire le cerveau par le nez et l'offrir sur une tranche de bakélite…

Mille syncopes rangées les unes derrière les autres sur les rayons parallèles de l'espace, milles trains d'ondes sur la courbe de Gauss qui s'organise de part en d'autre de la source d'émission, dont la substructure s'approprie tout élément même complexe — qui pourtant se réduit immanquablement à quelques plans de lambris de pin mort — mille coups sur la cambrure de l'absolu à l'enfler d'une résonance destructive, on croit l'apaiser par des mantras et des offrandes d'encens.

Ce soir (samedi) toutes les pentes de mes lointains rêvés convergent vers le Tribal où j'affecte de pouvoir trouver suffisamment de danse et d'œillades pour gonfler mes draps noirs, qu'ils ne m'étouffent pas cette nuit par ennui ou lassitude — je contrôle de moins en moins de choses dans ma chambrette…

Profondeur étayée de perspective facile, charnières rudimentaires de cuivre peint, divers angles d'ouverture de fermeture à effacement, ou fermeture — d'autre, par où on s'envolerait s’il était possible de s'envoler — à angle droit et volonté de bois sur baguettes vissées en soutien d'agonies musicales ou littéraires en substitut de bras alanguis, stupides rectangles morts en mirages stériles et cancer de papier, cancer de miroirs, cancer magnétique comme un champ de mines autour de mon lit de sacs de sables pour lâche repli et consolidation du mou dans un univers de coins, dans la facile séduction de l'encens en combustion.

Une crampe continue gauchit la commissure droite des lèvres et rive au visage une manière d'ironie douloureuse, joie pétrifiée qu'une inquiétude de proie dans le plissement des paupières tourne au pathos — ici je recompose, j'approfondis sciemment la fiction, comment faire autrement dans la fragmentation infinie de mon rapport au réel -— je voudrais aveugler cette bouche et oblitérer ce regard par une telle proximité que toute recul serait violence, mais il ne se passe rien.

Régulièrement trois plans se rencontrent et se concentrent en un point, dans le cadran duquel s'entrechoquent les ondes de différentes fréquences parvenant en trains réguliers et intentionnels, rencontres de matières et d'ondulations fluctuantes les unes comme les autres, sur des séquences d'échelles éloignées, selon des rythmes sollicitant plus ou moins la conscience du temps, cela frappe l'esprit dans une tentative hallucinée de s'investir dans un autre réel qu'un simple souvenir réveillé par l'odeur familière d'un ancien encens.

J'en fais comme tous mes mois avant moi un serpent vert et jaune, aquatique comme un iceberg dont on ne sait s’il est plus séduisant soupçonné que su, une grâce élémentaire et prédatrice qui danse une bien autre danse que la lente transe des soirs où c'est permis, un trucage de cinéma chinois dont toutes les cordes sont internes ou virtuelles et arrachent petit à petit l'âme à son refuge de protoplasme, jusqu'à ce qu'elle se retrouve sanglante et nue et prête à être gobée.

Lames lattes froides teintées grossièrement dans une ombre résignée, niche de bois et de marbre pauvre d'un espace suranné, semblant dérisoire de complexité comme le surmontent ces échafaudages rationnels de plans précis adaptés aux standards justement supposés dans une englobante approximation — du moins tout serait tel si les étranges contours d'une entropie déléguant son action à la désinvolture ne projetait sur la surface de bois ainsi constitué, pêle-mêle, logos, modes conventionnels de représentation, suites harmoniques et ces bâtonnets roses qu'épargne la braise agonisante de l'encens.

La lame affilée du maître samouraï — qui fractionne les atomes d'oxygène et de dioxyde de carbone se trouvant sur sa trajectoire, ceux-ci se recomposant en ozone et en molécules oxycarbonées complexes comme pour profiter de cette occasion d'accéder à un stade supérieur d'organisation de la matière, résidus orphelins de combats quasi instantanés — peut trancher la chair et les os d'un adversaire sans que celui-ci le réalise jusqu'à ce qu'il esquisse une contraction musculaire rompant l'équilibre et se voit tomber à ses propres pieds ; c'est ainsi que me laisse parfois la rencontre furtive de ce qui me semble le temps d'en être blessé être une beauté ultime — mais je n'en meurs jamais, et les blessures s'en réveillent aux heures sombres de solitude et d'amertume (trop lyrique, à éliminer).

Table de bois vibrante expulsant les basses harmoniques dans l'espace rectangulaire aux pans de molécules apparemment circonscrits — mais qu'en est-il vraiment, à quel moment (vibration) l'air cesse-t-il d'être air (oxygène, gaz carbonique, azote) pour se trouver être (alors qu'ils vibrent aux mêmes accords) : papier, tissu, carton, bois, plastique, verre, brique, marbre, plâtre, béton, acier, terre ou poussière, caoutchouc, vinyle, chair, encens ?
Arrive Lum May Yee : armure de stretch vert fluo bandant la poitrine, bottes de cuir noir lacées (elle dort avec un tee-shirt Tank Girl, une grimace sur chaque sein), hache Husqvarna à la main, elle veut en découdre — débarque de Singapour pour défier Faye…

Serpents (me suis rerasé le crâne, et graissé mes boots berlinoises, naîtrai plus facilement et saurai quoi lécher au passage) d'Asies saturant leur espace intervalle de métal nébuleux, une osmose irrépressible arrache à tous les aciers des molécules qui viennent s'y agréger, gaz suspendu se densifiant jusqu'à…

Faye Wong est là — son arme : une cicatrice féconde lui barre le ventre, se perd comme un coup de langue dans la toison qui lui repousse, elle est vierge et mère hélas, mais ce n'est pas de ces nauséeux miracles qui asservissent, juste un état charmant et insignifiant, un cliché médiatique indifféremment vrai ou faux, d'ailleurs, existe-t-elle vraiment ?

May et Faye tournent autour de la péninsule indochinoise, cercle ayant pour centre Da Lat, affectant de ne pas se regarder — pataugent dans les mers : de Chine méridionale, un peu des Célèbes, d'Andaman, de Sulu, de Java, les golfes du Siam et du Tonkin ; à chacun de leurs pas, les marins de ces eaux voient sous leurs jupes courtes des aurores boréales sanglantes et se vident de leur substance, restent à la surfaces les éternels sacs de plastique imputrescibles12

Bientôt tous les atomes de Fe de la sphère terrestre tendent vers la conflagration quand ils ne s'y ruent pas — suints d'hématite, limonite, magnétite, marcassite, minette, pyrite, sidérose, rouille, ferraille, limaille, tôle, acier, fonte, fers gris, blancs, rouges, et le globe se déséquilibre, trois millénaires de civilisations du fer portés à mille cinq cent trente cinq degrés fléchissent et s'avachissent dans un rot — plein de gens meurent comme dans les films où on s'en fout, ou comme dans les pays lointains où on s'en tape, tout le monde est mort, on s'en balance.

Et le fer de mon amour pour elles.

Protégée par le vide, Mir est épargnée, trois cosmonautes russes se regardent hilares : ils sont les graines d'une prochaine humanité — ils brisent le hublot à coups de bouteilles de vodka vidées avec allégresse13.

Et les fers de mon amour pour elles.

D'un tiers du fer de la terre se sont cuirassées — d'un tiers du fer de la terre se sont entrecognées — d'un tiers du fer de la terre ont tirées lumière et ondes sonores, il n'en est rien advenu, quelque chose dans cette débauche d'énergie a fait que le temps a été inversé et que nous en sommes encore à Lum May Yee débarquant de Singapour la hache à la main, les seins ceints de stretch vert fluo et les jambes de cuir noir, DECIDEE A EN DECOUDRE AVEC FAYE WONG QUI L'ATTEND DE PIED FERME, ventre barré d'une cicatrice féconde, personne n'est mort de cela, on meurt d'autre chose.
En fait, il ne s'est plus rien passé non plus au Tribal depuis ; j'y retourne boire de l'eau de temps en temps.


12. De ce qui se passe sur les terres, nous ne dirons rien, les journaux en parleront.


13. Ils se branlent dans l'espace et éjaculent en explosant dans le néant.

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