"Dieu est mort, on a retrouvé son cadavre
dérivant en orbite autour de Cassiopée en 2019"
Philip K. Dick, Message de Frolix-8.





jeudi 27 décembre 2007

21

Ah, Faye, Faye, que fais-tu maintenant que je m'illusionne dans mon univers de plans, que la télévision… est la télévision, que le cinéma… est le cinéma, que la littérature… est la littérature, que la musique… est la musique, que la danse… est la douleur et l'illusion de mon esprit face à mon corps, que les images… sont les images, que les formes… sont les formes, que le sexe… est le sexe, que la perversion… est la perversion, que la douleur et l'illusion… sont les servants de ma ferveur.
Une grande fresque épique retraçant les péripéties de caractères exceptionnels confrontés à des situations extrêmes mettant en jeu les fondements mêmes de la morale et de l'identité telles que l'ont peut s'y reconnaître en ce siècle commençant !
Alors quoi, je fais quoi — mon roman est ennuyeux, ma fiction n'est de personne — je ne vois du serpent que ventre gris et flou qui rampe sur la Flandre — par le hublot du TGV — me traîne et lèche le rail et le gravier, m'imprime dans le spongieux (moins dans le vaporeux) — je gratte encore — des grappes de seins roses décalqués des couvertures des magazines — les Relais H — pas de correspondances — pas de ventres — peu de soucis matériels (plus/pas encore) — une existence, sans Faye ?
Le désir, le sexe, la perversion évoqués comme jamais, avec la vivacité de l'esprit libre se refusant à toute forme de censure sans pour autant tomber dans la provocation gratuite, l'exhibitionnisme malsain ou la complaisance : on en sort revigoré !
Et si je demandais… il faudrait demander… je ne sais plus demander… je me souviens avoir beaucoup demandé… je me souviens n'avoir pas demandé… que pourrais-je demander ?
Des figures quasi-mythologiques révélant les archétypes enfouis sous deux millénaires de civilisation judéo-chrétienne, et dont l'évocation puissante éveille en nous des désirs oubliés de communion avec les forces élémentaires de l'amour, la terre, la vie, le cosmos, le verbe !
Tout cela bien sûr très ordinaire (mais a-t-il été question du contraire ?) — comme des photos de vacances, de fêtes de famille — des paysages, des amis, des animaux familiers, un peu d'érotisme volé au quotidien, quelques bizarreries (enclenchements involontaires, anecdotes, journalisme amateur), quelques effets maladroits…
Une œuvre visionnaire où s'affrontent les puissances du bien et du mal dans leur lutte éternelle ranimée à son paroxysme par un engagement profond s'encrant dans les domaines ultimes de la pensée et de la vie elle-même !
Quelques derniers échos, quelques enclenchements avortés, quelques inachèvements juste concomitants, quelques pages feuilletées de rien, par personne, quelques squames abandonnées comportant le code génétique même qui les a fait tomber, quelques mythes tronqués, ultime ressac d'une cosmogonie périmée, petits riens, rien…
Cette dissection à la précision chirurgicale et sans fausse pudeur de ce qu'il peut y avoir d'absolu dans l'individu réaffirme le rôle majeur de l'artiste tenant la gageure de l'universalité pour tenter, et réussir, l'Œuvre Totale !
Ainsi : à poil devant ma glace, le rasoir à la main — ni le désir fait chair, ni la mort incarnée : c'est le matin, j'ai pris ma douche et vais raser une barbe d'un mois, rousse et blanche, retrouver toujours le caoutchouc égal de mon visage — Faye pourrait-elle me trouver beau ?
Inscrit radicalement dans la modernité tout en renouant avec le souffle prophétique des épopées antiques, préparant le terrain à ce pourrait être la littérature du IIIième millénaire après avoir fait le deuil de tous les charlatanismes du siècle passé !
Ainsi : là sur de vieux cactus putrides et pelés de Costa i Llobera, aux épines tombées puisque inutiles — plus rien à protéger, pas même les bourgeons au vert violent rené dans les crevasses — je les ai vus les graffitis bourgeonnants, cicatrices fertiles du verbe (quelques photos de C. + I. = AMOR).
Tout à la fois pamphlet violent contre tous les conformismes et hymne aux valeurs fondamentales de l'individu et de la société, rejetant dos-à-dos tous les grands discours pour affirmer une philosophie personnelle s'alimentant sans complexe ni fausse modestie — mais toujours avec simplicité — à l'expérience humaine dans son ensemble !
Ainsi : je les ai vus je crois ces tétons comme cailloux (dents, ongles, griffes) sur un flan, fourrure passée dans un anneau pour une danse, des couleurs d'yeux, de peau, de reflets de lumières, d'effets spéciaux, de bijoux, de métal, j'ai vu ces danses de cascades, ces chants de cascades, ces caresses d'eau courante charriant des galets, les galets regardant implorant avant de fuir dans l'abîme…
Un chant d'amour bouleversant !
Ainsi : LUI. — Tu es comme mille femmes ensembles… démultipliée(s) — mille Faye séparées, nouvelle tous les jours, mais certains jours ne me réveillent pas — certaines Faye manquent, elles manquent à la réalité, à l'univers, à l'humanité à cause de cela, manque, manque, manque, etc…
Une langue riche et directe, une érudition à propos, un sens aigu de l'époque et de l'humain lui permettent de s'adresser à tous ceux qui sont en quête sans vouloir pour autant se renier, de susciter chez le lecteur ce sentiment rare d'être regardé plutôt que spectateur : une joie et une initiation !
Ainsi : Faye comme clown sensuel ou s'imaginant penchée, s'écartant les fesses de ses doigts aux ongles peints de dix couleurs différentes34 — bleu ciel, blanc nacré, jaune, rouge signal, vert pomme, rose, mauve, orange vif, noir —, ou comme un enfant que je ne sais pas avoir (au moins n'aurais-je pas eu d'enfant au XXième siècle), ou dans l'avion qui la ramène à Hong Kong après quelques concerts retentissants en Malaisie et Indonésie…
Surprenante clé aux interrogations refoulées sur la situation de l'homme dans un univers irrémédiablement accéléré, cette évidence révélée — impossible à formuler jusqu'alors, trop intime, trop proche, trop impudique, trop simple — est comme une libération, ô combien magistrale !
Ainsi : cherche des pierres pour lapider une fille de Faye et engendrer mes enfants — morts depuis, leurs os blanchis ont resservit depuis —, trouve sous une statue tombée — un sphinx peut-être — un nid d'anthropologues ; ont collecté pour moi anguipèdes, lamies, serpents, rhinocéros, dragons, menhirs, armes blanches (haches, casse-tête, lames diverses), sept cent soixante dix-sept liens pour la cybernation des Fayenatics enroulés autour d'un linga, quelques CD de canto pop et d'easy listening japonais…
Charnière inespérée entre des mondes et des cultures que l'on voulait croire inconciliables, refonte des aspirations de toute une civilisation à créer en son sein les conditions de la prochaine étape, voilà en tout cas — saurons-nous jamais à quel point — qui donne un sens qui manquait à l'avenir !
Ainsi : brûlure, je brûle ce que j'aime — ce qui m'aime me brûle — sûrement fallacieux, l'antagonisme dans mon panthéon privé entre Gene Kelly et William S. Burroughs, et les effets de leurs morts — sûrement cancer de ne pas penser, cancer de ne pas y penser — l'un d'eux dit : You never existed at all.
Dans la lignée des plus grands , le monde ne sera plus jamais comme avant, il y aura eu un avant, et il y a désormais un après, que les pessimistes et les désenchantés se rassurent, la relève des plus grands est assurée !
Ainsi : mes mains comme de l'eau froide, mes mains comme de l'eau sale sur les héroïnes possibles de cette histoire, la perte irrémédiable des héroïnes manquées de cette histoire, la grimace de Faye quand elle lira ces lignes, l'indifférence de l'inexistence du peu et encore trop que j'en ai inventé, la dernière liste de matériel : formes, couleurs, matériaux, inscriptions — dont celles-ci…
En une septantaine de pages, et parfaitement inutile, l'essence de la bêtise et de la forfanterie, le culte de l'anecdotique au lyrisme fin de siècle ahanant, le syncrétisme naïf du faux lettré, la préciosité faite système de ces mémoires hors de propos d'un égaré — bref, l'extravagance vaine de prétendre écrire aujourd'hui.
Ainsi : Bob Kane, mon papa…

Ainsi : de l'espace — qui est ta vêture et ta demeure, Faye Digambara, se concentre dans quelques plans assemblés de verre et de résine — toi, tu chantes, cinéma, télévision, vidéo, karaoké, internet…

Elle, elle chante :
Viens, va, petite chose, abandonne
Retourne, détourne, ton ventre, ta vacuité
Ton crâne, tes dents, quelqu'un a pu les aimer
Un espace
Surprise : personne — surprise : silence !

I am a lumberjack and I'm OK,
I sleep all night and I work all day!35

Joli monstre de pine de collage
Remue dans mon ventre de chatte
Remue dans ta danse inconnue inachevée — ad libitum
Un espace
Montre-toi : personne — montre-toi : silence !

Je suis un bûcheron, je suis OK,
Je dors la nuit et j'bosse la journée…

Penche la tête à gauche, à droite, en avant, regarde
Aujourd'hui n'as pas de tête
Aujourd'hui n'as pas de corps
Un espace
Je suis Faye : personne — je suis Faye : silence !

Etc…
Ainsi : assis dans l'escalier gris à coté de L.M.Y. fossilisée dans le mur gris auquel m'adosse, jette des morceaux de plâtre gris et de peinture grise en bas — en rythme, toc, toc, toc, toc, ou irrégulier, toc, toc-toc, toc ; des flûtes, des cordes et des cymbales peuvent s'y joindre et les ombres danser.

Entre la tempe et l'orbite, le bourrelet d'os qui n'est ni pommette, ni arcade sourcilière — le doigt y glisse distraitement, la paume accueille le menton, os, peau et barbe ; en tirant la peau de là vers l'extérieur, l'œil se bride, puis s'aveugle.



34. On se souvient — elle l'a affirmé — qu'elle aime toutes les couleurs ; c'est important.

35. Je m’en souviens d’un épisode du Monty Python Flying Circus

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