"Dieu est mort, on a retrouvé son cadavre
dérivant en orbite autour de Cassiopée en 2019"
Philip K. Dick, Message de Frolix-8.





jeudi 27 décembre 2007

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Diaphonie entre les hommes !

Peut-être fallait-il que cela se termine à Londres, car cela se termine, composition de serpents ailés — infinité de tunnels — et de corbeaux dans l'aube anthracite de Victoria Park — la météorologie de nos corps — courir, ou des avions…

Diaphonie entre les hommes et les reptiles !

Peut-être fallait-il que cela se termine à Barcelone, car cela se termine, dans le jardin des cactus31 de Costa i Llobera au-dessus du port où parade l'inévitable croiseur de guerre américain, encore des rampants et des volants, encore plumes et écailles et peau jamais assez nue, intérieurs de cuirs, caresses de caoutchouc, rêves de cailloux, incantations de pierre — vaines, nocives, hagardes…

Diaphonie entre les hommes et les lézards!

Peut-être fallait-il que cela se termine à Amsterdam, car cela se termine, avec eau, avec noir, avec reflets, avec rectangles, avec moustiques et vermine, avec l'ectoplasme presque dissout dans le temps et la littérature de cette petite chinoise percée qui m'avait tant aimé — hier, cette nuit, dansé comme elle à reculons en entrant dans la terre, ici, à Lille en paix, chez mes amis, ici, pas à Amsterdam, pas dans mes ailleurs…

Diaphonie entre les hommes et leurs danses !

Peut-être fallait-il que cela se termine à Bruxelles, car cela se termine, ou commence, ou commence autre chose — gris Broodthaers, gris Apple™, gris limace, gris justice, gris d'œil, gris lamie, gris rhinocéros, gris jazz, gris rideau, gris flamme, gris belge, gris peau, gris sexe, gris orgasme, gris pas-bouger, gris rester-là, gris catatonie, gris fou, à Bruxelles, capitale de la Belgique : "Kijk, het licht…"

Diaphonie entre les hommes et le gris !

Peut-être fallait-il que cela se termine à Berlin, car cela se termine — cela n'est jamais terminé car la fin se fond dans le néant, la fin n'est pas incluse et le tore ou ouroboros de cul anéchoïque en mâchoire disjointe, ou rien, ou science molle de machine d'architecture Von Neuman, ou derviche émotif à la garde des anguipèdes de Berlin, ou le Reich véritablement millénaire de l'impardonnable sous sa forme virtuelle à l'ombre huileuse, ou avoir été bouddha une nuit à Berlin, dans les rues la nuit, les parcs et les ponts la nuit, le S-bahn et les monuments, toujours sous la garde des anguipèdes, puis sous ma forme virtuelle d'ombre, cela se termine loin de Berlin, là, aujourd'hui par exemple, dans l'ombre grandissante…

Diaphonie entre les hommes et le noir.

Peut-être fallait-il que cela se termine à Lille en Flandres en guerre contre néant, sous ciel renversé en arrière comme dans une autre capitale, mais c'est déjà terminé, ou si cela devait se terminer ici à Lille, sous couvercle de Van Ruysdael : donc pas dans mes Asies de fuites, pas dans mes enfants loin, pas dans mes échafaudages de bambous, pas dans l'esclavage du rêve…

Diaphonie entre les hommes et les plans !

Peut-être fallait-il que cela se termine à Tokyo, car cela se termine, dans le grondement d'orage lointain du koto et le répons d'orient marin du shakuhashi, avec deux kilos de cire à fondre, à la flamme ou dans un cul, cire ou chair pénétrée s de lumière — dans la même lumière et le même recueillement et l'écriture récoltée dans la coupe de mains jointes et langue qui y trempe et s'y brûle enfin…

Diaphonie entre les hommes et leurs bites !

Peut-être fallait-il que cela se termine à Singapour, car cela se termine, dans les larmes des yeux de Lum May Yee qui n'avait rien demandé, qui dans ses grands échanges de matières s'est rechargée des cristaux de béton de la jetée et fixée en statue d'elle-même, assise sur sa caisse de béton de jus de béton, dos à la ville et jambes écartées : les dockers viennent y décharger en murmurant remerciements, car là elle est restée souple et chaude ; les femmes viennent y mettre le doigt pour recouvrer la fertilité — on la recharge parfois avec le manche d'une hache.

Diaphonie entre les hommes et Faye !

Peut-être fallait-il que cela se termine sur Frolix-8, car cela se termine (voir citation en exergue).

Diaphonie entre les hommes et l'encre !

Peut-être fallait-il que cela se termine à Hong Kong, car cela se termine.

Diaphonie entre les hommes et la mort !

Pas question en tout cas de mourir juste là — on l’envisage, c’est tout ; il y a une balade sous les nuages, dans l’aube, sur la pierre du parc, il y a une spirale de gris, d’avions, de corbeaux, d’arbres noirs, il y a les seins de brique grise de Londres couchée — il y a les seins en onde de celle-là couchée, léchée, rampée, dansée —, il y a une pierre de couche au sommet de chaque.

Diaphonie entre les hommes et les villes !

Peut-être la prochaine, peut-être jamais (est-ce danser pour écrire, est-ce écrire pour danser ?), peut-être faudra-t-il éviter les villes (les capitales), laisser ce geste qui par la fenêtre du train tranche les villes des autres cicatriser l'espace et donner naissance ainsi à la vermine merveilleuse qui gratte la nuit, la meute des spores de l'esprit faible, la Grande Maman des enfants pas sages (le Grand Papa si l'on a encore moins de chance), et tous ses enfants de buée.

Diaphonie entre les hommes et les fables !

(Ainsi le livre Des Monstres et Prodiges d'Ambroise Paré évoque sur le même plan les monstres mythiques, les animaux exotiques et les pathologies tératogènes : il y est décrit de nombreux cas de sécrétions de pierres trouvées dans le corps humain — on ne parle pas de ces pierres gravides que je cherche, ni de rhinocéros, ni de blessures parthénogénétiques.)

Diaphonie entre les hommes et les pierres !

Pas question en tout cas de ne pas fourrer sa queue partout où c'est possible, partout où l'on m'aime, même infimement, même sans le savoir, même en en doutant, même convaincu du contraire — on s'enivre, c'est tout.

Diaphonie entre les hommes et l'eau rampante !

D'un peu dehors à regarder peut-être voleter quelque hachette32 : infime fragment de trajectoire — dans, hors, dedans, dehors, fermé, ouvert — tranchant comme le verre brisé d'insectes morts ou les mots perdus ou suspendus puis tombés jamais oubliés en épines dans le gras de la plante du pied perçant son trajet obscur dans le corps pendant des années pour ressortir donc entre les deux yeux…

Diaphonie entre les hommes et les haches !

Pourquoi un climax, pourquoi la puissance, pourquoi ne pas laisser mourir puisque c'est prévu, désiré, pourquoi tenter de tomber du plus haut possible, pourquoi imaginer une fin, un but, une conclusion puisque c'est si visiblement faux, inaccompli, pourquoi faire semblant d'autre chose puisque c'est pour du semblant, pourquoi y croire quand on ne veut pas croire et que c'est plus crédible ainsi, etc… ?

Diaphonie entre les hommes et leurs os morts !

Quand il s’agit d’ouvrir des bras — je veux dire, sans lame, dans une gamme de tons chair — il faut que c’en soit un — je veux dire que c’en soit un — pourquoi ?

Diaphonie entre les hommes et les rectangles !

S’il s’agit d’embrasser ou d’avoir des nuances : on est moins apte à se laisser pousser des appendices quand on est tout entier dans un seul — alors on pleure et ce pleur même ne sort pas ; puis on espère que ce soit vrai.

Diaphonie !

Il y a tant d’accents qui nuancent mon nom — suis fatigué, je suis fatiguée, seul, seule, très malade33 — mes propres nuances ne sont jamais suffisantes pour équilibrer cela, c’est une nouvelle fuite à mon être face.

Diaphonie entre les hommes et le cafard !

S'il fallait un nouveau héros, un mâle, un serpent, un guitariste, une brute, un bâtisseur, un principe, un acteur, un fondateur, un DJ, un totem, un ténor, un gesticulant (et s'il y avait un problème d'orthophonie et qu'on avait confondu amour et anoure et ce n'est pas la même chose à mettre dans un slip !) : un grand dragon, un mâle, un cornu, un solitaire — juste accompagné de deux corbeaux —, une gueule grande ouverte dans un champ de bites, chinois ou asgardien, d’or ou de bronze, tendu ou contourné, réduit à une ligne tracée sur le sol ou fond de l’océan, dispensateur de pluie toujours ou presque…

Diaphonie entre les hommes !



31. Des cactus il va être question très bientôt, parce qu’il n'y a plus guère de temps, d'espace, de mots pour cela — c'est voulu.

32. Hachette (embranchement : Arthropodes ; classe : Insectes ; ordre : Lépidoptères ; famille : Saturniidés ; nom scientifique : Aglia tau).

33. Vieilleicht, Eine Frau für die Liebe La Pat, CD7936682 ©1989 EMI Bovema

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